La relation entre graphisme et esport
Le graphisme peut-il influencer la reconnaissance de l’esport en tant que domaine sportif ?
La création de nouveaux jeux compétitifs a contribué au développement d’une nouvelle industrie : l’esport. Le mot « esport » est un anglicisme, il s’agit de la contraction de electronic sport et désigne la pratique compétitive de jeu vidéo. Aujourd’hui, ce domaine se trouve être un sujet faisant débat notamment sur sa catégorisation en tant que sport et sur la proposition d’en faire une discipline olympique. Le sport se définit par une activité physique exercée dans le sens du jeu et de l’effort, et dont la pratique suppose un entraînement méthodique et le respect de règles. L’origine du mot en latin deporte signifie le mouvement, le déplacement.
Or, l’esport ne demande pas d’effort physique exercé lors de la pratique. Les adhérents réfutent cet argument car le sport se définirait principalement par l’amusement, l’entraînement méthodique est le cadre compétitif, caractéristiques que l’esport possède. Dans cet article, nous allons évoquer la stratégie graphique optée par l’esport afin d’être identifié en tant que sport. Nous nous demanderons en quoi le graphisme peut permettre à l’esport d’être mieux reconnu dans le monde sportif. Nous étudierons les représentations graphiques des valeurs du sport et de l’esport afin d’en définir les codes et nous verrons en quoi le graphisme a un impact important sur l’esport.
Quels sont les codes graphiques permettant d’identifier le sport ?
L’esport professionnel est un domaine basé sur les fans passionnés pour le jeu, les joueurs ou l’équipe. Des entreprises d’esport possédant joueurs et équipes, se sont développées ces dernières années et ont eu besoin, comme dans le sport, d’un logo décliné en produits dérivés. Afin de dégager les caractéristiques graphiques de ce domaine, nous proposons comme exemple, une analyse de la structure britannique Fnatic. L’appelation de la structure Fnatic vient du mot « fanatique » en référence à la passion extrême et aux fans de jeux vidéo. Aujourd’hui, il s’agit de l’une des structures esport les plus connues en Europe et dans le monde. Elle a été créée en 2004 par Sam et Anne Mathews à l’origine sur le jeu Counter-Strike. Les différents logos de Fnatic ont été créé par Chris Biron, le directeur artistique de la structure. Le premier en 2009 puis sa refonte en 2020. Le logo d’origine est basé sur des modules pouvant former les lettres du nom Fnatic. On pouvait reconnaître facilement les lettres « f, c et i ». Cependant, le logo possédait une asymétrie dû à la barre du « f ». La couleur orange représente le dynamisme, l’énergie et l’enthousiasme qu’on peut éprouver en jouant.
L’identité actuelle conserve les intentions du logo originel mais s’inspire également de l’identité d’une structure sportive contemporaine. En effet, Chris Biron a rendu le logo plus actuel en recréant des modules simplifiés pour les lettres de Fnatic. Le logo est alors beaucoup plus symétrique et géométrique, calculé à partir de cercles le rendant harmonieux.Le logotype de Fnatic reflète le sentiment d’appartenance à un groupe et surtout à la passion pour un domaine. Fnatic n’est pas la seule structure à s’inspirer des identités graphiques des sports classiques. En effet, nous avons posé la question à Dhav Oza, le directeur artistique de Karmine Corp, qui nous confirme constater une influence de la NBA et de la NFL dans les identités graphiques esportives. Afin d’appuyer ce propos, nous étudierons les points communs graphiques que Fnatic possède avec le logo de l’Inter Milan. L’esport et le sport possèdent donc des similitudes dans les valeurs représentées. C’est-à-dire l’appartenance à un groupe, l’idée d’esprit d’équipe, et de passion.
« L’esport possède les mêmes besoins que le sport, une multitude de savoir-faire pour des supports très différents. Il s’agit d’un grand mélange de codes traditionnels de la compétition, mais aussi de culture geek. » – Lenaic Leroy
L’esport et le sport possèdent des valeurs communes qui sont donc représentées de manière similaire dans le graphisme. L’esport possède cependant cet aspect geek, qui lui donne sa particularité graphique, c’est-à-dire des visuels inspirés de la pop culture, d’internet, du numérique et des jeux vidéo. En 2021, l’Inter Milan a dévoilé son nouveau logo réalisé par le Bureau Borsche. Le logo est circulaire et symétrique. Il aligne le « I » de International et le « M » de Milan.
Les couleurs sont remaniées en un bleu vibrant accompagné de noir et de blanc. Cette refonte représente bien les clubs de football qui ont généralement des logotypes basés sur des symboles – ou une forme de blason – dans un but d’identification, d’appartenance à un groupe et d’esprit d’équipe. Les couleurs sont souvent saturées et les typographies linéales, afin d’attirer l’attention. Nous avons vu précédemment que le logo de Fnatic possède également ces caractéristiques.


Quel est le niveau d’importance du graphisme dans l’esport ?
Ces identités visuelles inspirées du sport montrent le parti pris des graphistes esportifs, mais cela a-t-il réellement un impact ? Pierre Soares aborde l’importance du design dans le sport, dans un article en ligne sur Digidop : « Le fait que le marketing prenne de plus en plus de place au sein du sport actuel. Cela s’explique notamment par les enjeux commerciaux, motivant les clubs à fédérer une vraie communauté autour de leur structure, en créant une vraie identité avec un design unique. C’est cette communauté, en partie, qui fait vivre la structure, il est donc important de leur proposer des designs attrayants, afin d’améliorer l’expérience pour que les spectateurs renforcent leur connexion avec le club. » Cela est valable également pour l’esport, la communauté fait vivre la structure grâce à leur investissement dans le merch et leur participation aux évènements, car le divertissement est une part essentielle du domaine. Le graphisme est donc crucial pour satisfaire les fans et réussir. De plus, l’esport lui-même est visuel. « L’esport[…] il s’agit d’un milieu qui utilise énormément d’images, que ce soit pour son aspect artistique issu du jeu vidéo, son besoin de communication issu du sport ou à cause de son support principal, internet. […] Que ce soit pour la promotion d’une compétition, le storytelling autour d’un joueur ou l’annonce d’un nouveau patch de jeu, tout passe par le visuel. »
Indéniablement, le principal média de communication de l’esport est numérique, notamment sur les réseaux sociaux où les visuels sont primordiaux, ce qui place le graphisme au premier plan dans la présentation de l’esport.Nous savons que l’esport souhaite se développer et augmenter sa visibilité. Il y a quelques années, en 2016, Emmanuel Martin du SELL témoignait de la difficulté à développer le domaine du jeux vidéo et de l’e-sport. « On est un secteur qui touche à la fois à l’innovation technologique et à la créativité, avec des aspects artistiques, culturels ou des aspects plus technologiques. C’est toujours difficile de faire évoluer un secteur comme celui-ci et la législation. L’esport est un très bon exemple. » Il précise que c’est tout de même un domaine innovant qui permet d’être créatif et de créer du contenu. Ces dernières années, nous avons pu voir que l’esport a tout de même réussi à se développer jusqu’à envisager qu’il devienne une discipline olympique. Il a su se développer en médiatisant les événements et les diverses personnalités. C’est-à-dire de créer une communauté et de communiquer les nouveautés notamment par le moyen de visuels sur les réseaux sociaux.
« La médiatisation joue un rôle principal pour qu’un phénomène devienne “sociétal” et universel. […] De fait, la pierre angulaire du développement de l’esport est la médiatisation populaire et généraliste de ses stars, lesquelles peuvent être des joueurs, des analystes, des commentateurs, des codeurs, etc. […] C’est vrai pour le sport et l’esport. » – Mathieu Renard
C’est pourquoi le graphisme est important dans le développement du domaine, car il est l’essence même de la présentation de l’esport comme divertissement, il permet de maintenir la communication avec les fans ainsi que leur engouement. L’esport représente le sport de la génération digitale, l’esprit et l’enthousiasme autour d’une compétition mais sans les prouesses physiques généralement associées au sport. Ainsi le design a permis à l’esport de se développer économiquement mais qu’en est-il de l’opinion publique ? Nous avons pu observer les similitudes entre le sport et l’esport notamment à travers le graphisme. Cependant, cela suffirait-t-il à l’esport afin d’être reconnu comme un sport ? Le graphisme peut-il réellement impacter la perception d’un domaine par la société ?
Min Kim aborde ce sujet dans une conférence TED, « Celui qui contrôle les médias, les images, contrôle la culture. » Dans la première partie de sa conférence, Min Kim a étudié les différentes perceptions que quelqu’un peut avoir en regardant deux photos différentes d’une même personne. Il utilise l’exemple de Kendrick Lamar et LeBron James avec des photos de magazine. Il présente une photo de chacun où ils paraissent élégants et amicaux, puis une autre où ils paraissent plus agressifs et rebelles, cela malgré leurs connaissances vis-à-vis de la personnalité publique. Il conclut que les images influencent notre perception des choses et questionne sur l’impact des médias, surtout numériques, sur nos opinions. Il est vrai que les images influencent les opinions, alors il est tout à fait possible que le graphisme influence la perception globale de l’esport et le rende plus attractif.
Conclusion
En conclusion, le graphisme a la possibilité de contribuer à l’intégration de l’esport dans le monde sportif. En effet, l’esport est un domaine où l’image a une place importante et contribue au développement de son économie. Le graphisme peut donc impacter la perception de l’esport et il le fait déjà grâce ses choix graphiques inspirés du sport, pour les identités des structures les plus connues à l’heure actuelle.
Cependant, l’esport pourra-t-il se détacher de ses inspirations graphiques sportives et être pleinement représenter par son aspect numérique et pop culture, ou font-elles justement partie de son côté sportif ?
Lire Bibliographie